L’Echo – 23.05.2020 – MATHIEU COLLEYN
Sophie Wilmès annonce le renforcement et la prolongation des dispositifs de soutien à l’économie. Un plan structurel de relance doit par contre constituer le cœur du prochain gouvernement fédéral, estime la Première ministre.
Quarante minutes – « J’ai un meet à 15 heures » – nous n’aurons pas beaucoup plus pour « cuisiner » la Première ministre. Malgré les nouvelles encourageantes sur le front sanitaire, Sophie Wilmès n’a pas baissé le rythme. Vendredi, au 16 rue de la Loi.
Peut-on dire que la crise est derrière nous?
On a fait le plus difficile. Je ne peux pas prédire l’avenir mais ce qui est certain, c’est que si une deuxième vague devait venir, nous aurons tout mis en œuvre pour qu’elle soit moins difficile que la première. Tout le monde sait ce qu’il doit faire.
Vu les réactions du monde médical, du monde culturel, diriez-vous que certaines catégories de personnes ont été oubliées dans cette gestion de crise?
On ne peut mettre sur le même pied les mondes culturel et médical. Ensuite, c’est surtout le monde infirmier dont il est question. Il connaissait des difficultés avant la crise, celles-ci sont devenues d’autant plus prégnantes. Ce métier n’est pas suffisamment valorisé. C’est donc un travail qui doit impérativement être mené.
Vous parlez salaire?
Pas seulement. Il y a bien sûr la question salariale mais aussi et surtout des questions d’organisation du travail liées au manque de personnel. Comment attirer des vocations? Il y a le salaire mais aussi l’organisation du temps, le bien-être au travail. Et puis ce sentiment de ne pas avoir fait les choses dans les règles de l’art, ce qui est blessant pour le personnel, m’a fort frappée. Tout cela fait partie de la prise en charge de la détresse des infirmiers et infirmières.
Il a fallu cette « haie de déshonneur » pour que vous vous rendiez compte de cette réalité?
Non. J’allais justement là pour parler de cela. C’est vrai que c’était un message fort, mais personnellement, cette action ne m’a pas choquée. Les images fortes qui me restent des discussions que j’ai eues sur place, ce sont les larmes aux yeux des gens.
Vous aviez confié sur RTL que cette crise vous avait changée en tant que femme politique. En quoi?
C’est très personnel. Cette crise nous a tous impactés sur le plan humain. Je suis une femme d’équipe, plutôt pragmatique, de dialogue. Tout cela ne change pas mais c’est vrai que quand vous vivez une telle situation, on comprend moins facilement quand l’accessoire passe avant l’essentiel.
En 2016, vous défendiez des économies en soins de santé, est-ce que cette crise a changé votre regard sur la question?
Il faut mettre un peu de nuance. Il y a une norme de croissance plus ou moins grande du budget santé. Sous le gouvernement précédent, il y a eu croissance de ce budget.
Pas suffisamment au regard des besoins, selon vos détracteurs. A l’époque vous assumiez un discours d’économies.
« La Belgique est le 5e pays d’Europe en termes de dépenses en soins de santé. La Belgique n’est pas indigente en la matière. »
J’assumais un discours de diminution de la norme de croissance, oui. Celle-ci est toujours là, la Belgique est le 5e pays d’Europe en termes de dépenses en soins de santé. La Belgique n’est pas indigente en la matière. Cela n’empêche pas de dire qu’à certains endroits, il y a besoin d’injecter plus de moyens et qu’à d’autres, il faudra envisager les choses différemment. Il faut garder cette analyse objective de l’organisation générale des soins de santé.
C’était déjà le projet du gouvernement précédent, non?
« Le gouvernement précédent n’a pas réussi à prendre un problème à bras le corps, celui de la pénurie des infirmiers. »
Oui, mais on n’a pas réussi à prendre un problème à bras le corps, celui de la pénurie des infirmiers. Cette priorité ne doit pas attendre la formation d’un gouvernement. On y travaille.
La structure de l’Etat n’a pas toujours facilité les choses durant cette crise…
« Il y a un switch mental et le Fédéral devient compétent pour tout. »
Même chez ceux qui réclamaient plus de compétences pour les Régions, il y a un raisonnement qui s’arrête durant une telle crise. Les maisons de repos relèvent des Régions, pourtant le Fédéral a été investi par la force des choses. Il y a un switch mental et le Fédéral devient compétent pour tout. Je le vois aussi pour la culture, compétence éminemment communautaire. Cette crise a mis en lumière une difficulté connue sur la répartition des compétences mais elle a mis aussi en lumière la capacité du Fédéral et des entités fédérées à travailler ensemble. Les compétences sont trop éclatées et il faut simplifier. Simplifier, ce n’est pas toujours aller vers les Régions. L’analyse de là où la compétence est la mieux exercée nécessite de la neutralité et je ne pense pas que ce débat soit l’urgence absolue. L’urgence, c’est de nous sortir de la crise économique.
Il faut un plan de relance avant la formation du gouvernement?
« La relance par contre est un projet qui s’assimile à un projet de gouvernement. Elle doit être la pierre angulaire du prochain gouvernement. »
Il y a un problème dans le wording. Il y a les mesures de soutien aux entreprises, les acteurs, les ménages. C’est le chômage temporaire, le droit passerelle, les garanties bancaires, les reports de paiement. Ces mesures sont limitées dans le temps. Et puis il y a la relance avec des mesures structurelles qui dessinent l’économie. Entre les deux, il y a une zone grise. Pourquoi faire cette différence? Pour moi les mesures de soutien doivent être renforcées rapidement, voire prolongées, complétées et dirigées vers certains secteurs. Pour cela, on ne peut attendre qu’un gouvernement se forme. La relance par contre est un projet qui s’assimile à un projet de gouvernement. Elle doit être la pierre angulaire du prochain gouvernement.
Le PS réclame un véritable plan de relance dès maintenant…
Il faut préparer la relance. On a déjà injecté 13 milliards dans l’économie, on a les 50 milliards de garantie, on travaille sur les trois angles: prolongement et renforcement des mesures (droit passerelle, chômage temporaire surtout, NDLR) en se focalisant sur certains secteurs. On parle tous de soutien à l’économie.
L’Horeca, l’événementiel attendent des décisions pour le 8 juin. Pouvez-vous leur donner des perspectives?
Une clarification est prévue à l’occasion du Conseil national de sécurité du 3 juin.
La Belgique adhère-t-elle à la dynamique Merkel/Macron?
C’est un signal fort que l’on peut saluer et qui met l’Europe au cœur de la relance. C’est l’Europe dans laquelle nous nous inscrivons mais une série de choses doivent encore être clarifiées. La Belgique maintient une approche mixte: une partie des fonds peuvent faire l’objet de subsides et une autre de prêts, de manière à ce que la solidarité se conjugue avec la responsabilité.
L’Etat allemand va entrer au capital de Lufthansa et lui promet une aide de 9 milliards. L’Etat belge doit-il conditionner son aide éventuelle à Brussels Airlines à une entrée dans le capital?
Les accords ne sont pas signés au niveau allemand, donc je ne tire pas de conclusions à ce stade. La position belge reste la même: l’entrée au capital est une des possibilités mais l’exigence fondamentale, c’est la garantie d’un plan à long terme pour l’entreprise.
Votre président de parti, Georges-Louis Bouchez, estime que l’initiative socialiste pour relancer la formation du gouvernement s’apparente à un coup d’Etat, comme un contournement de la prérogative royale. D’accord avec ça?
Toute initiative qui aurait pour effet d’avancer sur la formation d’un gouvernement doit être accueillie positivement. Pour que cela fonctionne il faut qu’on voie des résultats, de la transparence. Si cette initiative nous rapproche de la solution, je la saluerai. D’ailleurs, je demande qu’elle nous rapproche d’une solution. Je vais aller plus loin. Vu les enjeux qui sont devant nous, cette solution doit venir rapidement et avec la majorité la plus large possible. Partant pourquoi pas de la « Grande union »? On a devant nous des challenges et des difficultés potentielles pour la population belge qui méritent qu’on transcende certains antagonismes.
« On a devant nous des challenges et des difficultés potentielles pour la population belge qui méritent qu’on transcende certains antagonismes. »
Vous parlez des dix partis qui soutiennent les pouvoirs spéciaux…
On peut partir d’un schéma qui existe et voir qui souhaite avancer. Plus la majorité sera large, plus l’adhésion sera importante. Mais ce n’est pas à 10 ou rien bien sûr.
Le palais doit-il intervenir?
Le gouvernement a la confiance dans un périmètre très précis: la gestion de la crise. En dehors nous travaillons sur base des affaires courantes. Si les partis estiment avec le Roi que cela clarifierait les choses qu’une mission soit confiée, j’y serai favorable si cela permet de faire avancer les choses.
Votre image semble différente au Nord et au Sud. Qu’en dites- vous?
Je ne fais pas de la politique pour mon image. Je suis là pour faire ce que je dois faire avec mes qualités et mes défauts. Une différence au Nord et au Sud? Je me sens tellement belge que j’ai du mal avec ces perceptions. La vérité du Nord et la vérité du Sud, je n’y crois pas. Enormément de néerlandophones m’écrivent pour dire que ce qu’on fait est formidable, énormément de néerlandophones m’écrivent que ce n’est pas formidable du tout. Pareil côté francophone. Cette scission, on la constate mais je remarque qu’on joue dessus, on force le trait. Cela ne correspond pas à la Belgique.