Quand on lui demande qui de la suédoise ou de la Vivaldi gère mieux le budget de l’État, Sophie Wilmès éclate de rire. «C’est une question piège, puisque j’étais ministre dans les deux gouvernements, je me contenterai donc de vous répondre qu’on a bien fait dans les deux.» La vice-Première ministre et ministre des Affaires étrangères concède toutefois qu’il y a encore beaucoup de travail pour muer cet accord politique en mesures concrètes. À commencer par mettre la pression sur les partenaires sociaux.
Quels sont les accents libéraux de cet accord?
Le travail structure ce budget, qui mise sur la création d’emplois, la mise à l’emploi et la reprise du travail. La Belgique compte aujourd’hui 300.000 chômeurs pour 150.000 emplois vacants. Ne pas comprendre qu’il y a là un vrai problème serait une erreur fondamentale. Sur la formation, on n’y arrivera pas si les Régions n’ont pas cette même volonté d’avancer de manière décisive. Quant au volet maladie-invalidité, il ne s’agit pas de mettre des malades au travail. On parle de personnes qui sont depuis plus de deux ans en congé maladie invalidité, pour lesquelles on propose de sortir de cette logique «on/off». Pour cela, on responsabilise tous les acteurs: les mutuelles, les entreprises, les employés. Le boost du tax-shelter, le maintien de la mesure zéro coti — qui est, pour certains, approfondie — sont aussi une satisfaction. Tout comme la flexibilité accrue du travail, non pas pour presser l’employé, mais pour lui donner plus de liberté.
Vous parlez de la semaine de quatre jours…
Oui, avec l’idée qu’on puisse plus travailler une semaine pour moins travailler la semaine suivante, à la demande du travailleur. On répond à l’évolution du travail. On répond à ce patchwork de profils. Le travailleur en 2021, ce n’est pas au bureau de 9 à 17 h. L’autre mesure importante pour nous, c’est le congé de maternité des femmes indépendantes, aligné sur celui des employées.
Ce pilier emploi du budget doit passer par la concertation sociale. La part d’incertitude est grande, non?
Un budget, c’est la traduction d’une ambition. On ne peut pas reprocher au gouvernement à la fois de ne pas assez en faire et de mettre trop d’argent à côté des mesures. Quant aux partenaires sociaux, j’espère que tout le monde aura compris — les travailleurs, les employeurs, les indépendants, le Fédéral et les Régions, mais aussi les syndicats — que le statu quo n’est plus possible. Si passer par les partenaires sociaux revient à une mise au frigo, on aura un vrai problème. Il faut ouvrir les yeux sur les profils des travailleurs, la flexibilité n’est pas un gros mot.
Vous êtes prête à faire évoluer ce qui a été décidé cette semaine?
On ne demande pas de la concertation sociale pour être sourd à ce que diraient les partenaires sociaux. Mais c’est le gouvernement qui doit prendre les décisions et il doit être en mesure de dire «maintenant on avance».
Le budget prévoit des rendements importants en lutte contre la fraude et sur la taxe comptes-titres. Un débat sur la taxation des billets d’avion est aussi lancé. Improvisation?
Sur les billets d’avion, on attend une proposition stabilisée du ministre des Finances et du ministre de la Mobilité pour savoir comment atteindre ce rendement. Mais cette mesure n’est pas seulement budgétaire. Elle a un caractère politique: quand vous avez la possibilité d’éviter l’avion pour un saut de puce, autant le faire. Entre les calculs qu’on fait en amont du budget et la réalité, il y a toujours des différences. Il y aura encore des arbitrages, mais a priori les rendements décidés sont là pour être obtenus.
Vous parlez d’ambition, est-elle réelle pour ce qui concerne les classes moyennes?
Plus on fera pour les travailleurs, toutes classes confondues, plus le MR sera content. Mais le MR et les autres partis doivent confronter leurs souhaits à la réalité. Et la réalité, c’est un déficit de 25 milliards. L’année dernière, on a aidé la population à hauteur de 15 milliards d’euros. On le fera encore à hauteur de 5 milliards cette année. Nous sommes heureux d’avoir dépensé cet argent, mais il nous entraîne dans une situation difficile. L’économie redémarre et va éponger une partie de ce déficit, mais un effort devra toujours être fait. En outre, l’hiver arrive alors que les prix de l’énergie s’enflamment, il n’est donc pas anormal que nous aidions les plus fragiles. Ce qui ne veut pas dire qu’on oublie les autres. À la demande du MR, une partie des montants liés à l’augmentation des revenus de TVA en 2021 alimentera un fonds géré par les CPAS, qui peuvent suppléer à la facture d’énergie pour les gens qui ne dépendent pas du tarif social. Sur les moyens salaires, on a un package de 300 millions. Certes la réforme n’est pas encore aboutie, mais l’objectif est là et c’est du structurel. Qu’on soit de droite ou de gauche, la situation budgétaire s’impose à tous. C’est intéressant d’aller expliquer à l’extérieur qu’il faut faire de «l’helicopter-money», mais ce n’est pas possible.
Les rendements de la lutte contre la fraude sont-ils réalistes?
Monsieur Dermagne nous dit que les chiffres en matière de fraude correspondent aux attentes cette année. Il y a de plus en plus de données échangées, même s’il y a encore beaucoup de difficultés. On l’a vu avec les Pandora Papers. Ce n’est pas que de la fraude, mais il y a là des gens qui vont devoir retourner de l’argent aux impôts.
Qu’attendez-vous de la suite? D’autres gros dossiers sont sur la table, en emploi, en pension et en énergie.
Les mesures que nous venons de décider ne se suffiront pas à elles-mêmes. On abordera les pensions plus tard, probablement encore cette année. On attend de Madame Lalieux une réforme digne de ce nom qui nous permette de trouver un chemin viable pour nos pensions. L’énergie est un autre dossier important pour nous. Il faut assurer la sécurité d’approvisionnement, la notion d’indépendance énergétique est importante, la question du coût pour les ménages et les entreprises aussi. Et il ne s’agira pas de dire que cela coûtera moins aux ménages et aux entreprises et très cher à l’État. Enfin, il y a nos objectifs de Paris au niveau du CO2. On a un rendez-vous au mois de novembre.
Le MR se positionne très fort sur ce sujet, êtes-vous prête à entendre qu’il faut fermer tous les réacteurs?
La fermeture des centrales est actée dans la loi, revenir là-dessus demande une action positive des partenaires autour de la table.
On parle de deux réacteurs…
Si on fait la démonstration qu’en fermant les centrales, nous mettons à mal les considérations que j’ai évoquées de manière trop importante, les partenaires autour de la table sont-ils capables de revenir sur la décision? Voilà la question qui se pose.
Revenir sur la sortie?
Oui, bien sûr.
La ministre Van der Straeten vous semble-t-elle aborder ce dossier de manière objective?
Il y a toujours un peu de nervosité sur des dossiers fondamentaux comme celui-là. J’attends une approche pragmatique, car j’ai de grands questionnements sur notre capacité, avec le CRM, à répondre positivement aux enjeux que je viens d’évoquer. On n’a pas encore une vision claire, mais il s’agit de ne pas se mettre des œillères en considérant que nos engagements internationaux en matière d’émissions de CO2 sont complètement séparés de ce que nous ferons de notre mix énergétique. Nous ne serions pas crédibles.
Le fonctionnement très conflictuel de la Vivaldi n’est-il pas gênant pour aborder un tel débat?
Il est sain de pouvoir exprimer ses marqueurs. Le job d’un président de parti n’est pas celui d’un membre de gouvernement. On accepte un débat vigoureux entre partis, mais pas plus. Les gens ont besoin de savoir les positions de chacun. Si on n’arrive pas à faire la différence entre ce qui est exprimé et le compromis qui arrive sur la table du gouvernement, on aura une difficulté.
Les tensions ont été particulièrement fortes avec le PS…
On a voulu attaquer frontalement la mesure zéro cotisation pour le premier emploi. Or c’est 50.000 emplois, 50.000 parcours d’entrepreneurs, 50.000 parcours de vie.
Dont des situations abusives…
Nous avons amélioré le système. Il n’est pas question pour le MR d’ouvrir la porte à des abus, mais il n’est pas non plus question d’utiliser des faux prétextes pour mettre à mal une mesure fondamentalement positive.
Le PS a voulu la supprimer?
Demandez au PS ce qu’il a voulu faire, je peux vous dire ce que moi j’ai fait: m’opposer fermement à ce que l’on touche aux fondamentaux de cette mesure.
C’est pour cela que vous avez quitté la table?
Le MR a une attention particulière sur les indépendants. Nous sommes des professionnels et nous sommes là pour faire avancer ce pays, et il y a un accord, même s’il reste du boulot pour transposer tout cela. Les moments de tension sont normaux dans une discussion budgétaire.
Est-ce exact que vous n’avez pas de plan pour exfiltrer d’Afghanistan nos ressortissants et les Afghans qui ont travaillé pour nous?
On travaille main dans la main avec le Qatar pour sortir nos ressortissants via Doha. Tous ne souhaitent pas partir, mais on organise le départ de ceux qui le souhaitent. Pour les Afghans qui n’ont pas de documents en ordre, les services de Monsieur Mahdi et Madame Dedonder travaillent à une solution.
Faut-il normaliser les relations avec les talibans?
Il ne s’agit pas de normalisation et encore moins de légitimation du régime. Aujourd’hui, il y a des discussions avec les talibans, de même qu’il y avait des discussions avec les talibans avant leur prise de pouvoir. Ce n’est pas nouveau qu’il y ait un dialogue. Il est d’autant plus nécessaire que nous voudrions influer sur l’accès des filles à l’enseignement, sur le sort des femmes, le respect des conventions internationales. L’Afghanistan ne doit pas devenir une base arrière pour le terrorisme. La question de la migration et des équilibres régionaux est également importante. Enfin, il y a urgence humanitaire. On me parle de centaines de milliers d’enfants qui risquent de mourir cet hiver. La situation est de plus en plus catastrophique et on ne peut pas tourner le dos à la population.
Interview Mathieu Colleyn
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