Pour la vice-Première MR, « il faut travailler au développement de la capacité en gaz et en même temps au nucléaire. » Car : « Le plan A n’est pas faisable. On le sait. »
Au fédéral, la semaine est censée être cruciale pour le dossier nucléaire… mais peut-être pas tant que ça, à entendre Sophie Wilmès. « Je ne crois pas qu’il faut prendre une décision définitive cette semaine sur tout », explique la vice-Première ministre MR. « Mais l’inertie, on n’en veut pas non plus », prévient-elle, « car elle ne profite ni aux Belges ni à la sécurité d’approvisionnement. » Elle voudrait sortir aussi de la vision binaire « plan A ou plan B », tout en prenant parti pour la prolongation de deux centrales nucléaires et en poussant le gouvernement à prendre les mesures nécessaires pour le permettre.
« Aujourd’hui », argumente-t-elle, « on est clairement mal embarqué en ce qui concerne le CRM (mécanisme de rémunération de capacité). Cela fait plus d’un mois et demi qu’on sait qu’il y a des incertitudes majeures attachées au CRM, avec le refus du permis pour la nouvelle centrale au gaz de Vilvorde mais pas uniquement. On sait aujourd’hui qu’on n’a pas cette fameuse sécurité d’approvisionnement qu’on voulait au 1 er novembre 2021. C’est un problème. Et on avait dit que s’il y avait un problème, il fallait travailler à la prolongation du nucléaire. Plus on attend, plus ce filet de sécurité va être difficile à déployer. Il faut y travailler, et c’est techniquement et juridiquement possible. »
Malgré ce que dit Engie ?
Nous sommes convaincus que c’est toujours possible. Il y a des obstacles certes, mais ils sont surmontables.
Pour moi, c’est d’ailleurs une erreur de dire qu’il faut l’un ou l’autre, plan A ou plan B, c’est l’un et l’autre : il faudra et du nucléaire et du gaz. On ne peut prendre un risque en termes de sécurité d’approvisionnement. Et le plan A, seul, est assorti de beaucoup trop d’incertitudes. Car il n’y a pas que Vilvorde : en dehors du fait que la production en CO 2 est catastrophique, il y a des recours annoncés contre les autres capacités de production et la difficulté de l’indépendance énergétique, qui est fondamentale.
Je suis ministre des Affaires étrangères, je vois ce qui se passe autour de nous. L’Europe est dépendante du gaz et la Russie est le premier fournisseur de l’Europe. J’ai un rapport de l’ACER, le regroupement des régulateurs européens, qui, sur le prix du gaz, dit que la volatilité est par-dessus tout influencée par l’incertitude géopolitique. Les Néerlandais ou les Français n’ont pas décidé de renoncer au renouvelable mais de combiner avec le nucléaire, pour essayer d’assurer leur indépendance énergétique.
Et chez nous, il faut sortir du schéma plan A ou plan B, et faire les deux, donc ?
Il faut travailler au développement de la capacité en gaz, dont on aura besoin, et en même temps au nucléaire, le filet de sécurité. Car le plan A n’est pas faisable, on le sait. C’est pour ça qu’on doit travailler au nucléaire. Et cela n’a pas été fait jusqu’à présent. On peut continuer à essayer de sécuriser des approvisionnements en gaz, mais on sait qu’on va devoir trouver des alternatives. Je demande donc qu’on prépare la prolongation du nucléaire, qu’on soit en capacité de l’activer. Pour le rendre possible, il y a toute une série de choses à faire.
C’est-à-dire ?
D’abord, étudier la ligne du temps : quand suis-je prêt à prolonger les centrales et comment je travaille pour être prêt à temps ? Quelle est ma to do list ? Je dois discuter avec l’Europe, avec l’AFCN, avec Engie, je dois préparer mes bases juridiques. Cet exercice d’identification, de la part du gouvernement, n’a pas encore été fait. Nous le regrettons. J’aimerais qu’on avance. Et je ne sens pas une mobilisation forte pour ça. On voit bien qu’on patauge. On essaie de trouver des solutions créatives mais il n’y en a pas aujourd’hui qui garantisse 100 % de certitude sur la sécurité énergétique. On est un train en retard, mais ce n’est pas pour ça qu’on est trop tard. Il faut se dépêcher.
Le MR est-il le seul à le vouloir ?
On voit que la situation évolue. On a vu les déclarations de Petra De Sutter (Groen, « la prolongation du nucléaire n’est pas exclue »), de Vincent Van Peteghem (CD&V, « aucune piste n’a encore été écartée »). Y a-t-il pour autant un accord ferme sur l’activation ? Pas encore.
L’ambition de sortir à terme du nucléaire, vous la partagez ?
Il ne faut pas se priver de capacité tant qu’on n’a pas tout le plan sécurisé sur la table. Depuis des mois, on ne travaille que sur 2025-2026, ce n’est pas comme ça qu’il faut fonctionner. Prenez le rapport de l’université d’Anvers, qui vient de sortir : il dit que la sortie du nucléaire signifie soit le triplement ou le quadruplement des émissions de CO 2 – or, nous ne voulons pas que l’on demande aux Belges de payer la facture CO 2 , ni le surcoût d’ailleurs ; soit l’augmentation d’un tiers des coûts annuels totaux combiné à une lourde dépendance des importations d’électricité. L’étude conclut donc que la sortie du nucléaire n’est pas souhaitable dans la situation belge actuelle.
MR « Le texte de Crucke ne correspondait pas du tout à notre engagement politique »
Le MR a été secoué par « l’affaire Crucke », autour du décret fiscal du ministre, attaqué par des députés libéraux. Votre regard sur cet épisode ?
Mon regard, c’est : quel dommage ! Je pense que cela pouvait être évité. Etre en relation avec les parlementaires, sentir quand les choses peuvent être extrêmement difficiles ou pas du tout en adéquation avec notre projet de parti, c’est quelque chose qu’il fallait faire, je pense.
Le ministre Crucke ne l’a pas assez fait ?
Effectivement. Et c’est pour cela qu’il y a eu une levée de boucliers aussi intense. La réalité, c’est que ce texte ne correspond pas du tout à notre engagement politique mais, en plus, a été évidemment éminemment critiqué par les parlementaires, qui s’en sont saisis. Il n’est pas anormal que, sur cette base-là, notre président essaie de voir comment prendre en considération ce qui est une difficulté pour le parti, pour nos parlementaires et pour le gouvernement wallon. A partir du moment où la stabilité du gouvernement était mise en question, ce n’est pas anormal qu’on ait pris le chemin qu’on a pris.
Vous dites que le texte du ministre Crucke ne correspondait pas au positionnement idéologique du parti ?
Tout à fait.
Nous ne prêchons jamais l’augmentation de la fiscalité. En plus, il y avait un parti pris sur les donations. Et c’est un parti pris qui ne rentre pas dans notre conception : on ne trouve pas anormal qu’une personne âgée puisse faire un don à quelqu’un de sa famille.
C’est assez grave pour un ministre de déposer un texte qui « ne correspond pas au positionnement du parti » ?
Si vous essayez de qualifier et de condamner son action, je ne le ferai pas. L’épisode est terminé et je ne vois pas l’intérêt de rajouter quelque chose. Par contre, ce qui doit être dit, c’est que cela aurait pu être évité et que, oui, les parlementaires participent au débat démocratique et qu’on a dû prendre une décision qui visait à la stabilité du gouvernement, ce que le président a fait parce que c’était son devoir. Maintenant, on passe à autre chose. Mais penser que les députés trouvaient ce texte approprié par rapport à ce qu’ils défendent, non.
Y aurait-il deux MR ?
Non, il n’y a pas deux MR. Il y a un MR, un président et une ligne de conduite.
Jean-Luc Crucke a dit qu’il tirerait les conclusions de cette remise en cause. Vous craignez qu’il démissionne ?
Il faut lui demander ce qu’il voulait dire.
Il ne s’est pas expliqué en interne ?
Non.
Codeco « On ne peut relâcher l’attention »
Qu’attendre de la réunion de mercredi?
J’attends avec impatience le rapport des experts pour me prononcer, mais je suis déjà contente que l’on retrouve un rythme plus classique. Organiser un Comité de concertation dans la précipitation n’envoie jamais un bon signal.
Surtout quand c’est pour faire plaisir à la N-VA… Jan Jambon vous a exaspérée ?
Oui. Je ne cache pas que le dernier Codeco a été très difficile. Tout le monde n’était pas sur la même longueur d’ondes au niveau des mesures qui ont été prises. Après, plutôt que de râler sur le Codeco précédent, je préfère me dire que celui-ci est bien préparé. Cela dit, cette réunion a lieu dans une période particulière. On savait que la difficulté omicron s’annonçait, mais on voit sur le terrain la démonstration de sa grande contagiosité et des problèmes que cela pourrait potentiellement engendrer. Il est illusoire de penser qu’on est dans une période d’amélioration sur le long terme.
Pas de miracle pour les restos, qui voulaient ouvrir au-delà de 23 heures ?
Attendons les rapports avant de nous positionner. Pour le MR, quand c’est possible et dès que c’est possible, on doit pouvoir récupérer ses libertés.
Mais l’ambiance est plutôt à restreindre les libertés en imposant la vaccination…
On a demandé un rapport au Commissariat corona, qui doit rendre un avis sur l’intérêt scientifique. Il doit aussi apporter les réponses aux questions juridiques et éthiques de l’obligation vaccinale. Tant qu’on n’a pas ce rapport, il est difficile d’étayer un jugement. Par contre, je sais que je ne veux pas d’une société qui opposerait de plus en plus les vaccinés aux non-vaccinés. Je ne veux pas non plus vivre dans une société hypocrite. Soit il y a une liberté vaccinale qui doit pouvoir s’exercer. Soit il y a une obligation et elle doit être assumée.
Le pass sanitaire est prolongé. Une libérale est à l’aise avec cela ?
Personne n’a envie de vivre dans une société du pass. Pas plus que dans une société du coronavirus. Sauf que le covid est là. On peut décider de l’ignorer mais il reste là. Bien sûr que réduire les libertés est quelque chose de très difficile pour mon parti. Notre acceptation est pragmatique car elle permet de laisser certains secteurs comme l’horeca ouverts. Comme Première ministre, j’ai dû prendre des mesures qui ne m’ont pas fait plaisir. Mais elles étaient nécessaires.
A-t-on survendu la vaccination ?
On a dit que c’était le Graal, la clé de toutes les libertés. On se rend compte que ce n’est pas la clé mais une des clés. Cela ne change rien au fait que la vaccination reste indispensable.
Le politique s’est trompé ?
Une des leçons du virus et de ses variants au niveau politique est qu’il faut de l’humilité. Je ne pense pas qu’on s’est trompé. Nous devons ajouter des couches de protection. Il n’y a pas de vérité absolue. Il n’y en a jamais dans la vie. Avec le covid, on gère au fur et à mesure. Si vous ne souhaitez pas vous adapter à lui, ne vous inquiétez pas, il va s’en occuper pour vous.
Le baromètre est le bon outil pour conserver l’adhésion aux mesures ?
Tout dépend de la situation et de ce qu’on entend par baromètre. Au départ, il y avait un système de couleurs qui impliquait certaines mesures très précises. Finalement, on allait vers des niveaux d’alerte, sans mesure précise. J’ai toujours considéré qu’il fallait à la fois des niveaux d’alerte et des mesures claires qui permettent à chacun de s’adapter.
En allant jusqu’à remettre des bulles ?
Je ne suis pas pour. Tout le monde a bien compris l’intérêt de limiter ses contacts. Je suis plutôt préoccupée par les chiffres des doses de rappel. On aurait dû commencer suffisamment à temps pour être à jour dès aujourd’hui, je le regrette.
Votre message pour les fêtes ?
Je plaide pour la prudence. Une prudence qui peut s’accompagner de vrais moments de détente, de sécurité et de partage. Je ne vais pas conseiller un nombre de personnes autour de la table, ce n’est pas ma tâche. Mais vous voyez bien omicron, le confinement aux Pays-Bas, Londres qui décrète la situation d’urgence. On ne peut relâcher notre attention.
Entretien – Maxime Biermé, Martine Dubuisson
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