Chaque mois, le Parlement européen se réunit en séance plénière pendant quatre jours à Strasbourg. Ces sessions sont les temps forts de la vie parlementaire. C’est dans la ville française qu’ont lieu les grands débats d’actualité et le vote final sur les textes législatifs. On peut considérer la séance plénière comme l’aboutissement de tout le travail effectué à Bruxelles. L’idée de ce billet est de vous fournir un récapitulatif des faits marquants de la semaine, d’en expliquer le contexte, de les analyser et de vous informer des votes importants pendant cette session. 

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Born in the USA 

À l’ouverture de la première séance plénière de l’année 2025, c’est à plus de 6.000km de Strasbourg que s’écrivait une nouvelle page de l’histoire américaine et, probablement, de notre monde. En ce lundi 20 janvier, Donald Trump est devenu le 47ème Président des États-Unis. Ce second mandat est déjà une promesse d’incertitudes, de surprises, de volte-face, d’outrances et, parfois même, de brutalité dans le chef du Président américain. Cette victoire a en effet un goût de revanche pour lui. Et nous avons appris aussi, parfois à nos dépends, que le Président Trump savait comment tirer profit de la confusion qu’il sème et du rapport de force qu’il installe. Les déclarations semées tout au long des jours précédant l’investiture n’ont certainement pas manqué de donner le ton. Les menaces à peine voilées concernant le Groenland, région constitutive du Danemark – c’est-à-dire un allié de l’OTAN et un État-membre de l’Union européenne – ont démontré en des termes très clairs le peu de considération du Président Trump pour les conventions et certainement pour ses partenaires naturels. L’Europe a malheureusement fait preuve de peu de fermeté dans sa réaction.

Dans le débat que nous avons mené sur les conséquences géopolitiques et économiques de la nouvelle administration Trump, j’ai été surprise de déceler chez mes collègues députés – souvent situés aux extrêmes – deux postures. La première consiste à un appel net à tourner le dos aux États-Unis. Généralement, cette position est défendue par les anti-atlantistes classiques qui veulent balayer, d’un revers de la main, deux siècles de partenariat et de solidarité. Certes, comme toute relation, nous avons connu des hauts et des bas dans la relation transatlantique. Pragmatique, je suis parfaitement consciente des intérêts que nous avons à entretenir ses relations avec les Américains, dans des domaines très variés. L’OTAN reste par ailleurs la pierre angulaire de notre sécurité. Et l’Europe vit du commerce et des investissements avec les États-Unis. Mais, plus fondamentalement – et j’y tiens – je ne peux me résoudre à oublier le rôle décisif qu’ont joué les Américains lors de la Seconde Guerre Mondiale en Europe. Je n’oublie pas non plus les grands idéaux de liberté et de démocratie qui ont toujours animé nos sociétés, à travers les âges, et qui ont façonné le monde occidental.

De l’autre côté de l’hémicycle, j’ai trouvé des députés qui se disent souverainistes mais qui, dans leur adoration pour le Président américain, étaient prêts à consentir à une Europe vassale des États-Unis. Or, c’est exactement le contraire que nous devons faire. Dans un monde multipolaire où le dialogue va se compliquer encore plus ces prochaines années, où le Président Trump va très certainement pousser sa logique transactionnelle, l’Europe doit démontrer sa capacité à être unie et, surtout, autonome. Nos atouts existent, même si nous les défendons timidement. Il ne manque plus maintenant que l’impulsion politique. Nos économies sont fortes, nous avons un marché ouvert et intégré qui représente près de 450 millions de consommateurs qui ont du pouvoir d’achat. Ce n’est pas rien. Ce gros avantage, nous pouvons le consolider à condition de mettre en pratique rapidement les recommandations livrées dans le rapport de Mario Draghi en 2024 ; une feuille de route qui donne toutes les clés pour bâtir une économie solide, résiliente, innovante, capable de relever les défis des transitions numérique et climatique. Il y a aussi des chantiers bien précis qui, s’ils sont menés avec intelligence et volontarisme, nous permettrons de gagner en indépendance. Je pense à une Défense commune, avec des achats groupés et le soutien à une vraie industrie en la matière ; mais aussi à l’Énergie où on voit qu’une transition vers un mix équilibré et bas carbone, notamment grâce au nucléaire, est possible. Le premier mandat du Président Trump devait être un « wake up call » pour l’Europe. Ce fut peu concluant. J’ai l’espoir que, cette fois-ci, nous ferons beaucoup mieux.

 

Non, l’Europe ne veut pas tuer la liberté d’expression

Il ne s’est pas fait discret lors de l’investiture du Président Trump, c’est le moins que l’on puisse dire. Elon Musk, fidèle parmi les fidèles du Président américain et, entre autres, patron de X (ex-Twitter) fut indirectement au centre du débat sur l’implémentation du DSA. Sous la précédente législature, le Digital Services Act a été adopté pour garantir les droits des utilisateurs européens des plateformes en ligne – pensez à X, Facebook, Instagram – et pour définir les responsabilités de ces dernières, par exemple dans les contenus mais aussi dans la transparence de leur fonctionnement.

Sur une ligne libertarienne faisant fi de toute règle, fortement inspirée par M. Musk qui, en définitive, défend avant tout ses intérêts personnels, des critiques se sont faites entendre par rapport à l’existence-même du DSA. Et ce, alors même que la Cour constitutionnelle de Roumanie s’est vue contrainte d’annuler l’élection présidentielle de décembre après des soupçons d’ingérences étrangères via TikTok en faveur d’un candidat. Pire, aujourd’hui, une enquête révèle que Facebook aurait laissé passer des milliers de campagnes de désinformation venues de l’étranger en 2023. Ces menaces sont à prendre très au sérieux car leur influence ne se limite pas à l’environnement numérique. Elles ont des conséquences directes dramatiques sur notre démocratie et, donc, notre capacité à faire société.

Moi non plus, je ne veux ni d’une surrèglementation de la créativité et de l’innovation, ni d’une police de la pensée. Mais pour que les réseaux sociaux restent des espaces de liberté et d’expression, il est indispensable de placer quelques principes fondateurs qui doivent être respectés par tous. Dans la vie réelle aussi, la liberté d’expression est quasi totale, moyennant quelques balises qui interdisent par exemple des appels à la haine ou l’apologie du terrorisme. La liberté d’expression est d’ailleurs tellement étendue chez nous que celles et ceux qui s’opposent vivement au DSA peuvent le clamer haut et fort, partout et en tout temps. Cela fait donc vivre le débat démocratique. J’ajouterais que des algorithmes trafiqués pour pousser un narratif qui sert une idéologie ou des intérêts spécifiques vont totalement à l’encontre de la liberté d’expression pour tous. La liberté des uns ne se fait pas aux dépens de celle des autres.

La priorité, maintenant, est de rendre la législation vraiment efficace. Il n’y a rien de pire qu’une loi qui n’est pas respectée, sans conséquence. La Commission européenne a ouvert plusieurs enquêtes contre des plateformes dont une contre X en décembre 2023 mais, malheureusement, plus d’un an après, celles-ci n’ont toujours pas abouti. Pendant ce temps-là, les plateformes, elles, avancent et évoluent. Les élections, quant à elles, se déroulent partout en Europe. C’est donc un message sans appel que j’ai adressé à la nouvelle Vice-présidente Virkunnen : nous devons faire beaucoup mieux avec le DSA : agilité, rapidité et efficacité. Les délais interminables déforcent nos règlements et, s’il y a malversation, nous devons sanctionner. Après tout, personne n’est au-dessus des lois.

 

Ceux qui menacent l’Europe de l’intérieur

En décembre, j’ai demandé que l’on puisse tenir un débat sur les révélations des journaux belge et hongrois, De Tijd (Lars Bové) et Direkt36 concernant une affaire d’espionnage à l’encontre de l’OLAF, l’Office antifraude européenne. En effet, des agents auraient été placés sur écoute et pris en filature par le bureau d’information hongrois entre 2015 et 2017 alors que l’Office enquêtait sur des soupçons d’irrégularités (confirmés plus tard par l’enquête) dans l’attribution de marché public au gendre du Premier ministre, Viktor Orbàn. Ces révélations toutefois ne seraient que l’arbre qui cache la forêt puisque ce Bureau aurait eu pour mission l’espionnage généralisé des institutions européennes mais aussi des délégations européennes. Autant dire que ces agissements sont parfaitement intolérables. Au-delà de la rupture de confiance et de coopération loyale que cela représente, il va sans dire que des explications doivent être fournies et de tels actes, s’ils sont prouvés, lourdement sanctionnés.

C’est d’autant plus grave que je considère le travail de l’OLAF, probablement peu connu des citoyens, répond en fait directement à une de leurs demandes les plus légitimes : l’usage correct des deniers publics qui ne peuvent, en aucun cas, être détournés pour des profits personnels. D’une certaine manière, l’action de l’OLAF se place au cœur de l’État de droit, un principe fondateur de l’Union européenne : garantir l’égalité de traitement, la transparence et l’intégrité, au-dessus des décisions de nature arbitraire ou politique.

Ce n’est pas la première fois que le gouvernement hongrois est épinglé pour ses violations de l’Etat de droit, que du contraire. Depuis 2018, le Parlement européen a demandé officiellement au Conseil européen d’enclencher l’article 7 du Traité sur l’Union européenne à l’égard de la Hongrie. Cet article prévoit que s’il existe un risque clair de violation grave et persistant des valeurs fondamentales de l’UE par un État-membre, le Conseil engage d’abord un dialogue avec le pays concerné pour tenter de remédier à la situation et, si aucune amélioration n’est constatée, peut ensuite suspendre certains droits du pays, comme le droit de vote au Conseil par exemple. Or, aujourd’hui, malgré l’imposant passif du gouvernement hongrois, cet article n’a toujours pas été activé. C’est pourquoi j’ai également interpellé la Présidence polonaise qui a pris ses fonctions au 1er janvier 2025 à ce sujet. La Pologne, qui a été sous la procédure de l’article 7 pendant de nombreuses années à cause de réformes mettant en péril l’indépendance de la Justice a fait un travail sérieux – sous l’impulsion de M. Tusk – pour revenir vers les valeurs européennes et l’État de droit. J’estime que ce serait un formidable marqueur du bilan de la Présidence si elle pouvait faire avancer une révision du système de l’article 7 pour surmonter un blocage politique quasi persistant dans son activation, une procédure complexe et lente et une absence de sanctions efficaces.

 

Qu’a-t-on voté ?

Outre l’adoption de l’accord passé avec la Serbie pour une coopération opérationnelle avec l’agence Frontex afin de mieux sécuriser les frontières au niveau des Balkans – un point de transit terrestre pour l’immigration illégale -, les textes votés lors de cette plénière se sont concentrés principalement sur des questions internationales. Il était par exemple très important de soutenir l’appel à la libération immédiate du belge Jean-Jacques Wondo, emprisonné en RDC et dont les charges qui pèsent contre luisont aujourd’hui fondées sur des témoignages peu fiables. Nous avons aussi adressé un appel similaire concernant l’écrivain français, Boualem Sansal, emprisonné pour des raisons politiques et ses critiques du régime algérien. Cet appel n’a pourtant pas été suivi par The Left, le groupe d’extrême-gauche qui compte le PTB/PVDA et La France Insoumise. Incompréhensible, déshonorant mais bien à l’image des actions, parfois des régimes, que l’extrême-gauche soutien au niveau international. Un autre texte portant sur la répression qu’exerce actuellement le régime de Lukashenko sur la population biélorusse a également fait l’objet d’un vote en plénière, afin d’exprimer l’inquiétude face aux violations répétées des droits de l’homme dans ce pays.