« Adolescente, je me disais : la politique, jamais ! »
Tous les hommes et toutes les femmes politiques ne se ressemblent pas. Certains se damneraient pour que l’on parle d’eux, pour avoir leur photo, même petite, dans le journal. Ceux-là pensent qu’ils doivent absolument être dans l’actualité, se fiant à cet ancien conseil : l’essentiel est que l’on parle de moi, en bien ou en mal. D’autres n’ont pas cette obsession. Contactée il y a quelques semaines pour figurer dans notre série “Huit femmes”, Sophie Wilmès, ministre MR du Budget au sein du gouvernement fédéral, a beaucoup hésité avant d’accepter une rencontre. Elle a posé des questions : pourquoi moi ? Quel genre de portrait ? Pas trop personnel ? Il est vrai que quand on tape son nom dans la barre de recherche de Google, rares sont les articles qui racontent son parcours. Quelques lignes sur son site personnel. Mais rien de plus.
Prudence et instinct
Elle a finalement accepté presque du bout des lèvres. D’ailleurs, sa première phrase, quand elle s’assied sur la terrasse d’un restaurant sarde de Schaerbeek, est “parler de moi, c’est difficile” . Non pas qu’il n’y ait rien à dire. Mais Sophie Wilmès fait partie de cette génération de femmes politiques (elle est née le 15 janvier 1975) qui avance à pas comptés, à pas prudents, sans véritable plan de carrière, plutôt par instinct.
Cela ne lui réussit pas trop mal. Son ascension politique est régulière, malgré cette confidence qui arrive très vite : “À la maison, mes parents parlaient tout le temps de politique. Ils étaient passionnés par leur métier. Ils adoraient cela. Moi, j’étais bien déterminée à ne jamais en faire. Adolescente, je m’étais dit : jamais. Je trouvais cela embêtant comme la pluie…” Ses parents ? Les plus anciens gardent un souvenir précis de son père. Philippe Wilmès était ce que l’on peut appeler un grand commis de l’État, membre de plusieurs cabinets ministériels dont celui de Jean Gol, régent à la Banque nationale et administrateur de nombreuses sociétés. Une carrière parfaite, un homme sincère, attachant, trop tôt disparu.
Sa maman ? Pareil. Elle a travaillé dans plusieurs cabinets, dont celui de Mieke Offeciers, que le CVP de l’époque était allé chercher dans la “société civile”, la vraie…
Des parents, donc, passionnés par la politique. Mais à 17 ans, quand Sophie Wilmès termine ses humanités, elle n’a aucune envie de faire comme papa et maman. La marque de fabrique de la jeune Sophie est plutôt la contestation. Pas à l’égard de ses parents, “stricts mais libres, ouverts, généreux, aimants ”, mais à l’égard des maîtres à l’école. “Cela ne m’intéressait pas d’avoir de bons points. Je voulais avoir la paix. Alors je faisais ce qu’il fallait pour réussir. Mais j’ai eu parfois beaucoup de mal à accepter l’autorité de mes professeurs. Je n’avais pas de problème de comportement, je n’ai eu qu’une seule retenue durant toutes mes études. Mais voilà, se soumettre, obéir aveuglément, ce n’était pas mon fort.”
Un certain goût pour la fête…
Il faut dire qu’adolescente, Sophie Wilmès a développé un goût certain pour la fête. Et pour les voyages. Elle n’a pas 18 ans quand elle part seule, sac au dos, pendant deux mois et demi en Amérique latine. À l’époque, pas de GSM, pas d’Internet. À bientôt les parents…
Au retour, elle choisit de s’inscrire en section publicité à l’Ihecs. Le diplôme en poche, elle accepte d’emblée, par souci, par urgence d’indépendance, un travail dans une agence de pub. L’horreur. Elle s’ennuie et répond vite à une offre de stage à la Commission européenne en tant qu’assistante d’administration dans une unité de gestion financière, chargée du contrôle budgétaire de dossiers d’assistance technique. Pas marrant, marrant. Mais Sophie Wilmès se prend de passion pour la gestion financière à tel point qu’elle reprend des cours universitaires du soir en gestion. Nouveau diplôme en mains, et expérience européenne acquise, elle saute dans un cabinet d’avocats comme chargée de la gestion.
La liberté et la loyauté
La vie étant ce qu’elle est, séduite par un homme qui lui parle à longueur de journée et de soirée de politique, elle finit par s’intéresser à ce qui passionne son ami. De fil en aiguille, elle rencontre Éric André, jeune et talentueuse étoile libérale à Bruxelles qui lui demande de s’occuper de sa campagne électorale… et de figurer sur sa liste aux élections communales. Il est loin le temps où elle jurait ses grands dieux de ne jamais “faire de la politique”. Elle accepte le double défi. Placée à la 29e place sur 41, sans aucun espoir d’être élue, elle se retrouve conseillère communale à Uccle. “Je me suis prise au jeu. J’ai fait une vraie campagne de terrain et découvert que j’adorais cela.” Au fait, pourquoi le parti libéral ? “La liberté, c’est fondamental. Mon libéralisme est ancré dans la réalité de terrain. Je fonde mon action dans les expériences que les gens me confient. Je ne suis pas une théoricienne. J’écoute beaucoup, j’étudie mes dossiers. Mais au final, je travaille à l’instinct. Il y a deux choses qui me caractérisent : la liberté et la loyauté aussi. C’est fondamental.”
La vie, à nouveau, lui offre un nouveau destin. Il est grand, solide, rieur. Il travaille à Bruxelles mais est né en Australie. Il a tout, “ et un petit garçon dans son sac à dos” , confie-t-elle. Ils se marient et s’installent à Rhode-Saint-Genèse où la famille s’agrandit. Une, deux, trois filles ! Entre-temps, elle est devenue échevine de sa nouvelle commune. C’est bien assez, comme travail. Car elle veut aussi voir grandir et s’occuper de ses jeunes enfants.
Une famille où l’ouverture d’esprit n’est pas un vain mot : “Les enfants parlent anglais avec leur papa et français avec leur maman. Et les devoirs, on les fait en néerlandais.” Tous les deux ans, la petite équipe met le cap sur l’Australie. La famille, c’est capital. “Mes enfants ont une sensibilité belge et européenne. C’est ici qu’ils grandissent. Mais il est important qu’ils sachent aussi que leurs racines sont également australiennes. Elles sont belges mais elles ont ce truc-là en plus.”
Le temps passe. Et la politique, cette passion un temps rejetée, reste bien ancrée. En périphérie, elle impose sa vision des francophones. Avant, le FDF dominait la stratégie de la fédération PRL-FDF. À présent, Sophie Wilmès entend développer son approche spécifiquement libérale, ferme mais pas agressive. Elle défend son projet et se fait remarquer au sein du MR. Si bien que Didier Reynders lui propose d’être première suppléante sur la liste fédérale en 2014. Reynders devient ministre et elle fait son entrée à la Chambre. D’emblée, elle s’inscrit à la Commission finances et budget, traditionnellement peu recherchée parce que les matières sont complexes. Il faut beaucoup travailler, elle aime cela.
Tombée de sa chaise
Mais elle tombe de sa chaise quand, à l’automne 2015, elle reçoit un appel de Charles Michel qui lui propose, ni plus ni moins, de succéder à Hervé Jamar, au poste de ministre fédéral du Budget… Elle demande un temps de réflexion. “C’était une décision que je devais prendre en famille parce que je me doutais que cela aurait de fortes implications sur notre vie.” Son mari n’hésite pas un instant et l’encourage. Le partage des tâches était déjà la règle. Mais depuis octobre 2015, c’est l’Australien qui, désormais, tient la maison. Au grand bonheur de tous et toutes. “Il a été, il est très chic. Il a toujours été très actif à la maison. C’est vraiment un super papa.” Bien sûr, concilier vie de famille et vie professionnelle, cela n’est pas toujours simple. “Mais je reconnais que j’ai beaucoup de chance d’être bien aidée, par mon mari, ma maman, mes voisins.” Ce qui ne signifie pas que Sophie Wilmès ne fasse plus rien à la maison. D’ailleurs, elle l’assure : quand un évier est bouché, c’est elle qui sait comment s’y prendre.
“J’ai beaucoup de chance…” , combien de fois a-t-elle prononcé cette phrase pendant l’entretien ? “Oui, j’ai de la chance. Je vis en Belgique, un pays que j’adore, j’ai une famille qui est en bonne santé. J’ai eu des parents aimants, je vis entourée d’amis bienveillants, je fais un super job.” Mais la chance, finalement, ne se construit-elle pas ?
La voilà donc, ministre du Budget. Pas toujours facile d’expliquer aux gens en quoi consiste son travail. Mais fondamentalement, cela n’a rien changé dans ses relations avec ses amis, ses voisins. “Ce qui me construit, ce sont les échanges, les rencontres. Ce n’est pas ma fonction qui me définit. Je ne me sens pas ministre du Budget. J’exerce une fonction de ministre. Un jour, je pourrais faire autre chose bien sûr.”
Il n’empêche : son nom est régulièrement cité par les observateurs de la vie politique qui, dans leurs analyses, répètent qu’elle aura sans doute, un jour, un rôle de premier plan à jouer dans son parti, voire au gouvernement. La réponse est prudente. “Ce que je veux avant tout, c’est être utile à mon pays.” Plus prudent que ça…
Musique à fond dans le garage
En ce début d’été, la vie de ministre dans un gouvernement d’affaires courantes est plus calme. Parfois, c’est le délire. Comment faire, alors, pour se détendre ? “Je fais de la gym dans mon garage. Je pousse les vélos, les sacs de hockey, je déroule mon tapis, je mets la musique à fond. Et je bouge, je danse. Ou alors, je prends mon vélo et je pars pendant deux heures en forêt de Soignes et plus loin encore.”
Le calme, le repos, le ressourcement, c’est aussi à la mer du Nord, plutôt l’hiver, qu’elle le trouve. Ou alors tout simplement devant sa cheminée où le feu crépite, à fredonner des musiques, à papoter, à refaire le monde. Le monde de Sophie.
“Devenir ministre est une décision que j’ai prise en famille parce que je me doutais que cela aurait de fortes implications sur notre vie. Mon mari m’y a encouragée.”