Article intégral sur le site du Moustique

Extrait de l’interview dans Moustique

Une femme au 16, rue de la Loi, ce serait nouveau. Sauf que celle dont on parle est issue d’un parti où les tensions, elles, n’ont rien d’inédit et que la situation du pays est toujours aussi explosive.

Dans le sillage de Charles Michel, Sophie Wilmès brille de plus en plus dans un ciel libéral dégagé, voire dépeuplé. Elle a choisi la maison de la Nation, le Parlement fédéral, pour se faire photographier. Elle s’assied pile à côté de la place habituellement réservée au Premier ministre. Si la situation politique devait continuer à s’embourber au-delà du départ de Charles Michel, elle pourrait être la première femme locataire du 16 rue de la Loi. Prudente, en attendant, elle affiche un air sérieux et posé. Du haut de son mètre 82, elle prend la vie le plus positivement possible.

Elle habite en périphérie, à Rhode-Saint-Genèse, donc en Flandre. Pas un handicap. C’est même une qualité belge, selon elle. Et elle tient à l’unité du pays. Pour le reste, elle slalome entre les questions avec un air pénétré, sans trop se mouiller, un rien désarçonnée de devoir s’expliquer sur la situation de tension au sein de son parti. Elle assure que la guerre des tranchées entre les pro-Reynders et les pro-Michel est terminée. Un duel entre Georges-Louis Bouchez et Denis Ducarme, avec peut-être la progressiste Christine Defraigne en embuscade et d’autres pour reprendre la présidence du parti? Elle n’est pas à l’aise, elle l’avoue.

 

Qu’est-ce qui se passe au MR?

SOPHIE WILMÈS – ( Silence, puis rire. ) On a deux personnalités majeures qui vont partir: Didier Reynders, puis Charles Michel. Avant cela, Olivier Chastel est aussi parti à l’Europe. Cela pose évidemment des questions en termes d’organisation de parti. La présidence est vacante, mais les candidatures de Georges-Louis Bouchez et Denis Ducarme ne représentent pas deux “camps”. Il y a assez de maturité au sein du parti pour assurer la continuité et une volonté de travailler ensemble.

Cela fait moins de cinq ans que vous êtes ministre du Budget. Votre parcours est assez fulgurant…

Cela fait plus de vingt ans que je suis au MR. J’ai commencé comme conseillère à Uccle, puis je suis devenue échevine, conseillère provinciale, députée. J’ai fait autre chose aussi que de la politique. J’ai travaillé à la Commission européenne et dans des cabinets d’avocats. Ça me permettait aussi de jongler avec ma vie de famille parce que mes quatre enfants étaient petits.

 

Pourquoi avez-vous choisi le MR?

Tous les partis démocratiques ont leur nécessité pour améliorer la société. Mais parmi les valeurs qui me correspondent le plus, il y a la liberté et la responsabilité.

Un jour, Charles Michel est venu vous chercher…

Avec Olivier Chastel. Avec le départ d’Hervé Jamar, c’est venu comme une surprise. Une bonne surprise.

 

Qu’avez-vous retenu de cette expérience de ministre?

La concrétisation du poids des responsabilités. La politique, c’est d’abord un projet pour l’autre, pour la société, quelque chose qui vous transcende. Devenir ministre, c’est aussi la consécration de son humilité.

Ce n’est pas un job facile, le budget. Les autres prennent les décisions et vous, vous tenez les comptes?

En fait, les décisions sont prises par le conseil des ministres suivant un accord plus ou moins à la lettre qui est l’accord de gouvernement. Le budget, c’est la matérialisation de ce projet avec en plus une grande dose d’imprévisibilité parce que le budget, j’ai coutume de dire que c’est un être vivant. Vous pouvez le guider mais il est soumis à des évolutions en dehors de votre contrôle. On a les facteurs macroéconomiques. On a une petite économie ouverte. Vous avez une série de contrats pris avec la société comme les pensions et vous vous devez de les respecter. Le ministre du Budget a une grande chance parce que vous prenez part à toutes les décisions, mais vous n’avez pas tous les pouvoirs.

 

Les finances belges ne se portent pas bien du tout. Vous préférez rassurer…

C’est vrai que j’ai une approche sereine, mais ça ne veut pas dire que ce n’est pas clairvoyant. Il faut accepter de ne pas tout pouvoir changer d’un claquement de doigts. La difficulté, c’est l’explication et la pédagogie. Il faut le faire avec sincérité, mais l’explication est complexe. C’est un vrai challenge. Les chiffres évoluent tout le temps.

À quoi rime le laisser-faire budgétaire des nouveaux gouvernements wallon et flamand? On ne ferait pas ça avec le budget de son ménage…

Moi, je suis ministre fédérale. Je ne fais pas la leçon à mes collègues. Il y a une réalité objective. Quand on se retrouve avec des budgets stricts, c’est l’investissement qui devient la variable d’ajustement. Ça ne fonctionne qu’un temps parce que vous n’investissez plus dans votre mobilité, par exemple, ou dans d’autres domaines. Or ce sont des marchepieds vers un bien-être économique.

 

Il faut laisser filer le budget pour investir?

Exactement. On ne peut pas dire tout et son contraire. On ne peut pas investir dans l’isolation des bâtiments, donner des incitants pour changer les comportements sans investir. La grande question, c’est de pouvoir rester suffisamment en équilibre avec le paquet d’obligations budgétaires que vous avez. Ce qu’on sait, c’est que la réponse n’est pas de cesser d’investir. D’ailleurs, dans le programme d’investissements stratégiques décidé par Charles Michel, on a travaillé en relation avec le secteur privé parce que l’État ne doit pas tout faire. Les règles européennes nous imposent d’assainir nos finances publiques. Mais faire ça et investir en même temps, c’est compliqué. Donc on a besoin de discuter avec la Commission européenne d’un autre cadre. On essaie de mettre ce point sur la table européenne.

 

Vous êtes intarissable. Vous êtes passionnée en fait…

C’est vrai. J’adore ces matières-là. La gestion du budget, c’est le cockpit de l’avion Belgique pour avoir une économie florissante au bénéfice de chacune et de chacun d’entre nous.

Vous pourriez devenir Première ministre, dit-on.

La rumeur dit que c’est techniquement possible. Ça veut dire aussi qu’on n’aurait pas été en mesure avant le 1er décembre de former un gouvernement fédéral.

Vous êtes inquiète?

Je suis un peu impatiente. Pour discuter ensemble, il faut que tous les partenaires soient prêts à le faire. Il faut avoir ce respect-là.

Ce n’est pas le cas.

Si on me dit qu’il faut faire le gouvernement flamand et wallon avant, je l’entends bien. On ne peut pas aller plus vite que la musique si les gens ne sont pas prêts. Mais je ne trouve pas ça pour autant souhaitable parce que le monde ne s’arrête pas de tourner pendant qu’on est en formation de gouvernements régionaux. La situation est aiguë.

Vous allez en tout cas négocier à la table fédérale. C’est un nouveau job pour vous.

C’est une nouvelle fonction. D’abord, on ne fait pas ça seule mais en équipe. Ensuite, négocier, je le fais déjà comme ministre. C’est donc naturel.

Vous avez esquivé au début de l’interview. Pourriez-vous, vous, être présidente du MR?

Je n’ai pas encore pris de décision définitive. Je suis très intéressée et passionnée par ce que je fais au gouvernement fédéral. Vous l’entendez. Mais j’ai énormément d’intérêt aussi pour ce qui se passe au parti. J’attends aujourd’hui les différents projets que les différents candidats apporteront.

Votre libéralisme, il est comment? Social, de droite, progressiste?

Il est libéral. À une époque, on a parlé de libéralisme social parce qu’on avait besoin de dire qu’il l’était. Aujourd’hui, on a fait la démonstration que le libéralisme existe en tant que tel.

Qu’est-ce qui vous indigne dans l’existence?

C’est un fil rouge dans toute ma démarche: l’injustice, la violence, la lâcheté contre un groupe de personnes qui seraient plus faibles, considérées comme telles ou différentes. Je pense aux enfants, aux femmes, aux homosexuels, aux victimes de racisme, d’antisémitisme. Je n’accepte pas cela.

Vous ressentez cela plus particulièrement parce que vous êtes une femme? Vous êtes féministe?

Je suis clairement pour l’égalité hommes-femmes. Ça m’insupporte profondément qu’on considère la femme comme en dessous ou en incapacité par rapport à la gent masculine. En Belgique, on est dans une situation quand même confortable par rapport au reste du monde. Mais tout comportement de rejet ou de prise de pouvoir sur l’autre parce qu’il est plus faible me révolte. C’est mon ADN politique. Et cela s’arrime à la valeur de la liberté. La liberté, ce n’est pas de se débrouiller seul. C’est donner à l’ensemble des citoyennes et citoyens la capacité de se réaliser pleinement. Et cela ne peut se faire que dans une société sans violence. C’est ça mon engagement politique.